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La Semeuse ou le devenir indigène est le nom de la recherche menée par Marjetica Potrč avec Séverine Roussel et Philippe Zourgane (RozO Architectes) en 2010 et 2011. Ils ont élaboré, à l’issue de leur recherche, la proposition suivante:

La Semeuse – Devenir indigène

« Aubervilliers est une ville multiculturelle, où cohabitent plus de 70 nationalités. »

Le projet cherche à rebondir sur cette présentation commune de la ville d’Aubervilliers. Le multiculturalisme de la ville étant présenté comme une valeur positive allant de soi, ces notions de multiculturalisme, de diversité restent dans une compréhension de surface faisant large place au maximum de consensus. Il nous a semblé pertinent de suivre ce discours dominant en l’élargissant à la vie végétale et ainsi de provoquer le nécessaire décalage qui va amener des questionnements autres autour de ces notions.
Le projet consiste en la création d’un laboratoire appelé La Semeuse dont la fonction est de faire pousser à partir de graines ou de reproduire, des plantes peu ou pas commercialisées. Plutôt que sur les flux humains il s’appuie sur les migrations des graines qui grâce à différents agents s’implantent dans de nouveaux territoires et s’y développent jusqu’à devenir indigènes. C’est ce mouvement végétal que nous souhaitons fixer dans l’espace et scénographier pour le transformer en Monument, un monument d’Aubervilliers. Nous avons choisi de présenter les enjeux théoriques du projet à travers des réflexions croisées par mots clés : diversité, semeuse, plante exogène/indigène, sauvage.

Diversité
La Semeuse est un projet qui vise à s’arrêter sur la notion de diversité. Le mot diversité est chargé de connotations positives communément admises qu’il soit entendu au sens de diversité culturelle, diversité génétique ou biologique, diversité sexuelle … Mais c’est aussi une notion cible de perpétuelles attaques. C’est une notion positive mais qui très vite fait peur car elle sort facilement du champ de contrôle du politique, du scientifique …

Définition du Littré
Diversité: « Etat de ce qui est divers ».  Le mot « divers » est emprunté au latin classique diversus (part. passé adj. de divertere, v. divertir) littéralement «allant dans des directions opposées» d’où «opposé, contraire, hésitant» et au pluriel «plusieurs». Mettre ensemble des éléments « allant dans des directions opposés », opposés, contraire, est source de réactions imprévisibles, d’hybridations inattendues, de rencontres inédites. Et cela fait inévitablement peur.

La ville d’Aubervilliers est connue pour la grande diversité culturelle de ses habitants et dans l’histoire récente de cette ville cette spécificité est considérée et valorisée par le pouvoir politique comme une qualité positive. Mais il est intéressant d’aller un peu au delà du couvert très politically correct de ce choix politique et de questionner les conséquences de cette célébration de la diversité. Cette célébration est elle porteuse d’un projet de vie autre, résultat des hybridations inédites produites par cette diversité? Ou y-a-t-il une dimension quelque peu figée dans cette célébration de la diversité avec une appréhension des mélanges et de leurs conséquences?

La Semeuse
Le projet se propose d’interroger cette célébration de la diversité par le biais du monde végétal. Il s’avère que la France compte parmi ses symboles majeurs, La Semeuse. C’est une figure féminine (Marianne) coiffée d’un bonnet phrygien. La Marianne est un symbole fort de la France, elle figure dans toutes les mairies. Le bonnet phrygien évoque la révolution française et est symbole de liberté depuis l’Antiquité. La Semeuse est une allégorie champêtre qui évoque la France essentiellement agricole du début du XIXème siècle. La Semeuse marche vers l’avant, en semant les graines d’un futur optimiste. Ces graines illustrent aussi le rayonnement culturel et économique de la France. La dimension symbolique de la graine et de la semence nous a semblé fondamentale pour ce projet et l’importance de travailler en écho à ce symbole national est un élément central du projet.

La végétation comme agent politique
Parce que, tout comme la diversité, la graine est un élément essentiellement chargé de valeurs symboliques positives. Mais le langage courant fait apparaître la notion de mauvaise graine. Quelles sont les bonnes et quelles sont les mauvaises graines?
En ce sens la végétation dépasse largement le fait de mettre quelques plantes dans un jardin. La portée politique des plantes a toujours accompagné les flux humains et très souvent les a surpassés pour ensuite ordonner les flux humains autour d’un projet politique ou économique mis en œuvre par la végétation elle-même. Ainsi la plantation coloniale est une organisation sociale économique et politique autour de la matrice végétale.
Ainsi l’enjeu du projet n’est pas centré sur les bienfaits écologiques attendu de tout projet de plantation en site urbain. L’enjeu du projet est de mettre l’accent sur la végétation comme agent politique et pour cela de poser la question de la graine.

Plante exogène/indigène
En effet, interroger la notion de diversité par le biais de la végétation, pose immédiatement le problème de la graine : quelle graine planter?
Les espèces présentent naturellement dans une aire géographiques sont appelées espèces indigènes. Ceci par opposition aux espèces exogènes. Ce processus n’est pas fixe et évolue de manière constante avant même que l’homme ait commencé la guerre, la colonisation et opéré d’autres mouvements de plantes. Ainsi ces flux divers et variés entrainent une reconfiguration permanente. On dit que le nombre important de figuiers présents à Aubervilliers en font désormais une espèce indigène. Le dedans et le dehors ne sont donc pas des données fixes mais en reconfiguration permanente. C’est bien ce phénomène qui nous intéresse.

Monument
La Semeuse est pensé comme un monument au multiculturalisme d’Aubervilliers en tant que laboratoire vivant de la co-existance entre nationalités, religions. L’Union Européenne et les politiques d’état tendent à réduire les pouvoirs d’état et à renforcer l’étendu des pouvoirs locaux, quel est le futur proposé par Aubervilliers en tant que ville écologiquement durable? La Semeuse propose de s’appuyer sur le multiculturalisme d’Aubervilliers pour développer la biodiversité et comme outil de transformation du paysage. Qu’est ce que ça veut dire être indigène? Quels sont les parallèles entre routes de migration des plantes et routes de migration des hommes? Qu’est ce que ça veut dire, être de quelque part? … La Semeuse est un monument pour Aubervilliers, fragile et biologique. Si le monument permet de se remémorer, il permet aussi d’activer une potentialité dans le présent, une action à venir qui utilise le passé.

La Semeuse – Présentation du projet

La Semeuse est un laboratoire, une machine/installation dont l’objectif est de faire pousser des graines ou de reproduire des plantes que l’on ne trouve pas où très difficilement dans le commerce. Ces plantes sont ensuite plantés par les habitants d’Aubervilliers dans leurs jardins, balcons … La reproduction et la vente des plantes est actuellement un domaine réservé de l’industrie qui cantonne son offre de produits à un nombre très limité d’espèces. L’industrie horticole est un acteur majeur de l’appauvrissement de la biodiversité.
L’objectif est de mettre l’accent sur la place de la plante dans l’expression du multiculturalisme et donc sur le multiculturalisme comme agent de transformation du paysage. La plante est la base de la cuisine, est au centre des savoirs médicinaux, est un élément structurant de la pensée du beau … c’est un élément fondamentale des cultures en général.

L’installation
Ainsi nous avons conçu La Semeuse comme une installation, machine hybride qui soit un réel outil technique de culture. Elle est conçu comme « un jardin portatif » composé des éléments suivants :
– 1 volume fermé servant pour le stockage des outils, produits, pots …
– plusieurs volumes ayant fonction de serre
– des sacs « à gravats » utilisés pour cultiver les plantes
– des caissons en bois bas utilisés pour cultiver les plantes
– un système de récupération des eaux
L’installation est autonome, elle peut être déplacée si nécessaire et ne demande aucune dé-pollution ou autre traitement du site.

Site
La Semeuse est installé à l’entrée des Laboratoires d’Aubervilliers. Ce laboratoire végétal est un élément signalétique fort pour les Laboratoires mais c’est aussi une véritable articulation entre la population d’Aubervilliers et ce lieu culturel pouvoir de proposition. La Semeuse aura donc comme première visée, la revalorisation de l’espace libre semi bétonné, semi engazonné situé entre la rue et le bâtiment des Laboratoires d’Aubervilliers. Cette revalorisation ira dans le sens de produire une relation hybride et floue entre intérieurs et extérieurs, entre construit et non-construit.

Fonctionnement
Le laboratoire La Semeuse est conçu comme un outil au service des albertivillariens. Ainsi, La Semeuse travaillera prioritairement pour un certain nombre de partenaires, à savoir, le jardin de l’Oasis et les jardins communautaires de la ville. Mais il est aussi ouvert aux citoyens en général.
En effet, les jardins communautaires, le jardin de l’Oasis … n’ont pas l’espace et les infrastructures nécessaires pour travailler à la reproduction des plantes mais nous avons pu constater qu’il y a une réelle demande, une réelle envie pour élargir le champ des espèces plantées. Le laboratoire La Semeuse travaillera donc en partenariat avec ces jardins en cultivant les graines qui lui seront données ou demandées, en réalisant des boutures de plantes que les jardiniers souhaitent reproduire. Ce système de fonctionnement est bien sûr ouvert aussi aux particuliers.
Ainsi, le laboratoire La Semeuse n’a pas pour vocation de cultiver les plantes jusqu’à leur maturation mais est pensé comme une étape dans la culture de la plante, un sorte de pépinière alternative. La Semeuse, sème la diversité en favorisant la reproduction d’une multiplicité de variété de plantes.

Séverine Roussel, Philippe Zourgane, Marjetica Potrc ( décembre 2010)



MANIFESTE / La Folie des Plantes


EDITO //
Indésirables. Spontanées. Mauvaises. Adventices. Envahissantes. Stupéfiantes. Interdites.

Un jardin n’est pas la nature. Il s’y joue des dynamiques similaires à celles en marche dans notre société. On considère certaines plantes néfastes, invasives, on en aime d’autres parce qu’on les trouve esthétiques, rentables, rares. Le jardin est une plateforme migratoire, une gare, un aéroport, une douane. La dynamique qui s’y déploie est activée par une main invisible(1), celle du jardinier.

Qui est de la nature ? Cela fait bien longtemps qu’elle n’est plus définissable ni simplement théoriquement, ni concrètement, puisque l’Homme a très vite pris la relève sur une organisation naturelle. Avec l’avènement de l’agriculture au Paléolithique, la maîtrise de la terre est devenue une question de survie. C’est bien parce que nous avons maîtrisé la production des plantes et organisé des parcelles, que le milieu est devenu productif et de plus en plus anthropisé. C’est sur une seule et même parcelle organisée de manière pure et autonome, que l’on a fondé l’agriculture. Agriculture qui sauva l’humanité de la famine et favorisa l’aménagement d’un territoire urbain, le surplus de production servant alors à marchander. Des lieux pour vendre et acheter se sont avérés nécessaires. C’est ainsi que des professions et la cité naquirent. Si au départ aucune distance ne séparait l’Homme de son environnement naturel(2) – il en faisait partie, en provenait -, l’usage qu’il en fit progressivement n’a pas tendu à valoriser les richesses de la terre. En s’affranchissant des richesses naturelles pour en créer des nouvelles, il s’est éloigné de sa propre nature. L’humanité a ainsi fait de l’espace environnant non plus une « nature » conjointe à l’Homme, mais un cellier où puiser des consommables non échangeables.


Colonisation par les plantes, colonisation de la nature

Avec la colonisation, vint le désir de répertorier toute la Nature. Ce à quoi s’adonna le botaniste. Souvent parti à l’autre bout du monde – l’exotisme des forêts lointaines découvertes une fois les mers traversées, attirant bien plus que le champ de pâquerettes voisin –  s’appliquait à récolter, trier, observer, comparer et classifier des essences de fleurs et d’arbres. Le fait de privilégier le voyage vers le lointain plutôt que la connaissance de notre environnement proche est un fait constaté depuis des siècles. La notion de « voyages » jadis n’existait pas, il s’agissait de « conquêtes ». De poser et imposer ses connaissances et ses approches du monde là où on allait. Plus c’était loin, plus cela élargissait le champ d’action du pouvoir. Ce pourquoi des botanistes embarquaient dans des expéditions militaires. Tout connaître, c’était tout posséder. Le botaniste, curieux par nature, à l’affût de nouvelles plantes à découvrir, quelle que soit l’étendue de ses connaissances et l’assiduité de son travail, ne pouvait à lui seul tout répertorier. Néanmoins il s’y est engagé, a taillé, observé à la loupe et rapporté des échantillons et collectes vers le vieux continent.  Elles seront plantées dans les jardins du museum et conservées dans les étagères et herbiers géants. Détachées de la terre qui les a vu naître, de l’oiseau qui mangeait leurs graines pour qu’elles puissent se reproduire, de la mouche qui grignotait leurs parasites. Elles seront soignées par des jardiniers qui les alimenteront avec des engrais et les multiplieront dans des serres. Plus tard, adaptées à leur nouvel environnement et appréciées des visiteurs, elles seront commercialisées.

Plusieurs botanistes avec lesquels je me suis entretenue me soutiennent que ces échantillons sont conservés comme un patrimoine génétique pour pouvoir être ressortis dans le futur en cas de besoin. Qu’ils sont garants de l’écosystème aussi. Je ne m’attarderai pas sur la vague définition faite de ce « futur » et ce « besoin » qu’ils convoquent. Mais rappelons tout de même qu’un écosystème ne comporte pas en lui que des « espèces » (biocénose) : il n’est pas constitué que de flore et de faune, mais aussi  de bactéries en symbiose, d’échanges gazeux sous terre, de molécules au dosage précis, de pression atmosphérique particulière, en quelques mots par d’autres paramètres invisibles, riches et méconnus (biotope). Or dans la conservation ces dernières données manquent. Le sujet est conservé de manière isolée, comme un être unique se suffisant à lui-même.

Quelle réparation possible ?

Se revendiquant maître de son espace, il en dicte la réparation à mener. Paradoxalement, en créant cette forme de justice réparatrice,l’humain appose au reste des êtres le hiatus qu’il s’est imposé à l’avènement de l’agriculture. À savoir, un rejet des liens factuels mais invisibles qui lient l’immatériel à la matière. Ainsi les reconstructions de tel ou tel paysage ou écosystème, avec telle ou telle espèce, ne seront jamais qu’approximatives, voire décoratives, puisqu’elles se doivent d’avoir une délimitation physique, soit une cage. Au pire, il s’agit parfois de remplacer un paysage par un autre, ces parcelles reconstituées prenant la place d’autres paysages in situ. La chaîne peut être infinie. En attendant, l’arbre de 30 mètres est conservé dans un tiroir d’un museum, où l’on a séquencé son génome (dans le monde des humains, un géant peut tenir dans un tiroir). Pendant ce temps là, on pille la forêt, détruit chaque arbre un à un, dévaste l’humus qui a mis des millénaires à se former, engloutit dans leurs machines destructrices plantules, graines et arbustes, qui pourtant constituent une niche écologique pour les espèces animales, du plus petit insecte au plus grand singe. Ceci dit, il n’est pas besoin d’être une forêt verdoyante et luxuriante pour être pillée. Le même sort est réservé aux étendues de savane ou de désert, montagnes ou plages, tout aussi garantes d’une multitude d’espèces végétales et animales, qui doivent faire face à l’avancée des infrastructures urbaines. Cette nature « invisible » est aussi une nature en danger ; elle est plus difficile à répertorier certes, et pourtant des plus importante. Car c’est en secret que tout se conjugue à la perfection. Bien sûr les changements sont nécessaires et là où il y a la vie rôde aussi la mort. Mais que ferons-nous quand il ne restera plus d’espaces non régis par l’homme ? Y en a t-il encore seulement ?

Une nature muséifiée

Les parcs nationaux nous offrent des vues exceptionnelles de la vie sauvage. On peut y observer des plantes centenaires, des parties chasse animales. Mais le tout dans un périmètre délimité. On conserve à l’intérieur et détruit à l’extérieur. À l’intérieur on vaccine les animaux et taille les plantes dangereuses. La logique prescriptive et de mise à distance utilisée par le capitalisme est dans toute sa splendeur représentée dans ce paysage d’apparence sauvage. On peut garer la voiture le long d’une route pour y observer des points de vues choisis par les technocrates du parc, pique-niquer au bord du bitume sur une table fabriquée dans un bois étrangers aux arbres du parc. Qu’est-ce qui légitimise la vie d’une espèce plutôt qu’une autre à l’intérieur du parc ? Que fait la plante située en dehors du périmètre ? Celle qui ne fait pas partie du pourcentage compensatoire ?  Elle risque l’élimination pure et simple. À moins qu’un musée l’ait répertoriée. Mais une fois qu’on sortira du tiroir à l’instant-t, sera-t-elle en mesure de s’adapter aux gaz atmosphériques, à la température, à la lumière ?

Le musée ne se limite donc pas au bâtiment, au monument que l’on visite trois fois l’an. La planète même est désormais un musée. Tout est conservé, décrit par les experts en botanique, en agronomie, en zoologie. Rien n’est laissé au hasard, rien n’existe de manière désintéressée. Si telle plante résiste à l’avancée du béton et d’autres matières imperméables, elle deviendra probablement garante d’une dynamique écosystémique nouvelle.

Plantes sorcières

Qu’en est-il si nous considérons les plantes comme une communauté à part entière, avec les mêmes dynamiques intrinsèques que le restes des êtres vivants? La communication entre les plantes est de plus en plus étudiée. Le botaniste Frantisek Baluska officiant à l’université de Bonn, considère que « les similitudes entre les racines végétales et le cerveau animal vont très loin sur le plan structurel et moléculaire ». Il parle même de « neurobiologie végétale ». Les plantes auraient ainsi une sensibilité à la musique, une mémoire et même l’esprit de famille.
Leur capacité à communiquer, quand bien même elle serait chimique, est-elle la même pour toutes ? Voici que je ne regarde plus les massifs(3) de la même manière, je m’interroge sur leur possible mécompréhension entre elles ! Et je me dis que si elles ont l’air de bien pousser, de fleurir, cela signifit-il qu’elles apprennent le langage de l’autre ? Les plantes seraient-elles munies du don d’empathie ? Les plantes elles-mêmes communiquent, se révoltent peut-être même, et bravent les frontières.
Les graines, à l’instar des Hommes, voyagent. Les flux migratoires depuis la fonte des glaciers nous permettent d’observer et de profiter des plantes que nous avons aujourd’hui. Pour les plantes, il n’y a pas de frontières administratives. Leurs seules contraintes pendant leur périple sont les barrières physiques, montagnes, rivières, autoroutes ou la faim qui tiraille les animaux. Leur unique défi est de se maintenir intactes afin de pouvoir germer et se développer vigoureusement. Malheureusement, des lois existent pour interdire ces voyageuses. Lorsque l’on va ou revient d’Australie, le moindre pépin, la moindre bouture est scrutée et doit rester sur le sol. Étonnant, quand on sait que la Banksia ericifolia par exemple, plante que l’on observe essaimer dans les jardins du sud de la France, nous vient tout droit d’Australie.

Le jardin est dirigé par le jardinier. Le jardin planétaire(4), celui où la limite est l’horizon, aussi. On choisi si telle ou telle plante peut continuer à vivre à cette place-ci. S’il faut la tailler, la déplacer, la conserver ou la supprimer.
L’espace n’est pas le seul facteur. En plus de la disparition physique de lieux recueillant un écosystème construit de faune et de flore, la déchéance de la nature arrive autrement. La création scientifique de nouvelles essences commercialisables se heurte paradoxalement à l’interdiction de certaines plantes. Les vertus de certaines de plantes sont connues depuis des millénaires. Beaucoup d’entre elles sont endémiques et ont des caractères spirituels ou guérisseurs. L’interdiction de ce savoir est tout aussi inquiétante que la destruction de la plante elle-même. Une plante non utilisée est une plante oubliée. Depuis ce point de vue rationnel en prise avec la seule logique économique, l’Homme interdit un grand nombre de plantes, qu’il s’agisse de légumes ou de plantes médicinales. Elles sont classées « indésirables », « adventices » ou « mauvaises herbes ». Pourtant c’est notre ignorance envers elles qui a fabriqué notre dégoût. Par exemple, les plantes médicinales, nombreuses, ont été utilisées depuis des siècles par les femmes qu’on accusa de « sorcellerie » en référence à leur pouvoir de guérison, et leur capacité à manier les potions et assemblages de plantes.
Mais une plante illégale c’est de la marginalisation gratuite. La plante, elle, n’a rien demandé, et sous prétexte qu’elle apaise les douleurs de la chimiothérapie, que nous la trouvons aisément dans nos prés, qu’elle ne soit pas en possession d’un laboratoire pharmaceutique, devient illégale. Si on ne lui attribue pas une valeur monétaire et marchande, une plante ne vaut-elle donc rien ? Si elle n’est pas vendue par Truffaut, implantée dans un parc naturel national ou utilisée par un laboratoire pharmaceutique, n’aurait-elle aucune valeur ? La main invisible préfère se gaver et chasser les plantes guérisseuses et les sorcières plutôt que de tenter de toutes les utiliser comme il se devrait. Si l’on apprenait à en connaître leurs vertus, on permettrait leur survie. Non pas une survie par défaut, non pas une vie de remplissage d’un espace anthropisé, mais une vie de sens. Qui permettrait aussi leur adaptation. Tout comme l’Homme s’adapte au cours des siècles au changement de nourriture, à la modification de l’espace avec la disparition de terres, les plantes ont cette même capacité. Préférons profiter ne serait-ce que deux ans de l’existence d’une plante, plutôt que de ne jamais la voir ou attendre son hypothétique réintroduction orchestrée, dans un milieu reconstitué. Les phrases de bienséance et de rachat des bonnes consciences concernant les nécessaires dynamiques de protection et de conservation valorisées par le système financier actuel nous séparent toujours de l’essentiel : nous sommes la nature.

J’ai l’immense plaisir de vous laisser ici découvrir les textes, dessins et productions originales des participants qui ont suivi les ateliers de l’année 2015-2016, programmés aux Laboratoires d’Aubervilliers.
Aux participants, pour leur confiance, échange de savoirs et attention, j’adresse un grand merci.

Chaleureusement,
Ingrid Amaro
coordinatrice de La Semeuse de septembre 2013 à avril 2016